« Dieu ne permettra pas que l’injustice devienne éternelle. Il permet aux révoltes, à la désintégration et au chaos de se produire pour nous rappeler que nos pensées étaient fausses et que nos désirs étaient impies. La vérité morale est vengée par la ruine qui résulte de sa répudiation. Le chaos de notre temps est l’argument négatif le plus fort qui puisse être utilisé par le christianisme. La catastrophe révèle que le mal se vainc lui-même et que nous ne pouvons pas détourner le regard de Dieu, comme nous l’avons fait, sans nous faire du mal à nous-mêmes ».
Extrait de « Communism and the Conscience of the West »
(1948)
« (…) A partir d’aujourd’hui, ce ne sont plus les colonies et les droits des nations qui seront en conflit, mais l’âme des hommes. Les lignes de bataille sont clairement tracées et il n’y a plus de doute quant aux questions fondamentales. A partir d’aujourd’hui, les hommes seront divisés en deux religions conçues à nouveau comme un abandon à un absolu. Le conflit du futur est entre le Dieu qui s’est fait homme, et l’homme qui se fait dieu ; entre les frères dans le Christ et les compagnons dans l’Antéchrist.
L’Antéchrist, cependant, ne s’appellera pas ainsi, sinon il n’aurait pas de disciples. Il ne portera pas de collants rouges, ne vomira pas de soufre, ne tiendra pas une lance et ne secouera pas une queue avec la tête en forme de flèche comme Méphistophélès. Nulle part dans les Saintes Écritures nous ne trouvons la confirmation du mythe populaire qui imagine le diable comme un bouffon vêtu de rouge. Au contraire, il est décrit comme un ange déchu, comme « le Prince de ce monde » dont le travail est de nous dire qu’il n’y a pas d’autre monde. Sa logique est simple: s’il n’y a pas de paradis, il n’y a pas d’enfer; s’il n’y a pas d’enfer, il n’y a pas de péché; s’il n’y a pas de péché, il n’y a pas de jugement entre le bien et le mal.
(…) Comment entrera-t-il dans cette nouvelle ère pour nous convaincre de suivre son culte? Il se déguisera en Grand Humanitaire ; il parlera de paix, de prospérité et d’abondance non pas comme un moyen pour nous conduire à Dieu, mais comme une fin en soi. Il écrira des livres sur une nouvelle idée de Dieu adaptée aux modes de vie des gens. (…) il plongera les hommes dans la honte si les autres hommes leur disent qu’ils ne sont pas ouverts et libéraux ; il identifiera la tolérance avec l’indifférence vers ce qui est bien et ce qui est mal ; il encouragera les divorces avec la tromperie selon laquelle une nouvelle union est « vitale » ; il invoquera la religion pour détruire la religion; il parlera même du Christ et dira qu’il était le plus grand homme qui eût jamais vécu; il dira que sa mission est de libérer les hommes de l’esclavage de superstition et du fascisme qu’il se gardera de jamais définir. (…)
Il établira une contre-église qui singera l’Église parce que lui, le diable, singe Dieu. Elle sera le corps mystique de l’Antéchrist et, sur le plan extérieur, elle rappellera l’Église comme corps mystique du Christ. Ce sont des jours où le diable a reçu une corde particulièrement longue.
(…)
Puisque les signes de notre temps indiquent une bataille entre absolus, nous pouvons nous attendre à ce que le futur soit un temps d’épreuve, pour deux raisons.
Tout d’abord, pour que la désintégration s’arrête. S’il n’y avait pas de catastrophes, l’impiété gagnerait de plus en plus de terrain. Ce que la mort est pour l’homme individuel, la catastrophe l’est pour une mauvaise civilisation : l’interruption de la vie et, pour la civilisation, l’interruption de son impiété. (…) Dieu ne permettra pas que l’injustice devienne éternelle. Il permet aux révoltes, à la désintégration et au chaos de se produire pour nous rappeler que nos pensées étaient fausses et que nos désirs étaient impies. La vérité morale est vengée par la ruine qui résulte de sa répudiation. Le chaos de notre temps est l’argument négatif le plus fort qui puisse être utilisé par le christianisme. La catastrophe révèle que le mal se vainc lui-même et que nous ne pouvons pas détourner le regard de Dieu, comme nous l’avons fait, sans nous faire du mal à nous-mêmes.
La deuxième raison pour laquelle une crise devra survenir, c’est pour prévenir une identification erronée entre l’Église et le monde. Notre Seigneur a compris que ceux qui sont ses disciples sont différents en esprit de ceux qui ne le sont pas. Mais cette ligne de démarcation a été brouillée. Au lieu du noir et blanc, il n’y a qu’une nuance. La médiocrité et le compromis caractérisent la vie de nombreux chrétiens. Ils lisent les mêmes romans que les païens modernes, éduquent leurs enfants de la même manière athée, écoutent les mêmes commentateurs qui n’ont d’autre critère que de juger le présent à partir du passé et l’avenir à partir du présent; ils permettent aux coutumes païennes comme le divorce et le second mariage de se glisser dans leurs familles; des dirigeants syndicaux soi-disant catholiques donnent des instructions de voter pour les communistes dans les congrès. Il n’y a plus le conflit et l’opposition qui doivent nous caractériser. Nous influençons le monde moins que le monde ne nous influence.
Nous qui avons été envoyés pour fonder un hôpital avons été infectés par la maladie, et avons donc perdu le pouvoir de guérir. Et comme l’or est mélangé à un alliage, tout doit être jeté dans le four pour que les déchets soient brûlés. La valeur du test sera de nous distinguer. Une catastrophe doit venir nous rejeter, nous mépriser, nous haïr, nous persécuter, et alors, nous pourrons marquer notre loyauté, affirmer notre fidélité et déclarer de quel côté nous sommes. Nous diminuerons en nombre, mais nous augmenterons en qualité. Ce n’est pas pour l’Église que nous craignons, mais pour le monde. Nous tremblons non pas parce que Dieu pourrait être jeté du trône, mais parce que la barbarie pourrait régner. »
Fulton Sheen (1948)